Les différents systèmes d'accordage

La musique, cet art universel qui enchante nos oreilles et émeut nos cœurs, repose sur des fondements mathématiques et physiques plus complexes qu'on ne pourrait le croire. Au cœur de cette complexité se trouve la question du tempérament et de l'accordage, un domaine fascinant où l'art rencontre la science, où l'oreille du musicien dialogue avec les équations du physicien.

Les fondements physiques du son musical

Pour comprendre les enjeux du tempérament et de l'accordage, il est essentiel de revenir aux bases physiques du son musical. Un son musical est produit par la vibration d'un corps, qu'il s'agisse d'une corde de guitare, d'une colonne d'air dans une flûte, ou des cordes vocales d'un chanteur. Cette vibration crée des ondes sonores qui se propagent dans l'air et atteignent notre oreille.

La hauteur d'un son, c'est-à-dire sa fréquence fondamentale, détermine la note que nous percevons. Plus la fréquence est élevée, plus le son nous paraît aigu. Par exemple, la note La3 (le La du milieu du piano) a une fréquence de 440 Hz dans l'accord standard moderne.

Les intervalles musicaux et leurs rapports mathématiques

La musique ne se résume pas à des notes isolées, mais à des relations entre ces notes, ce que nous appelons des intervalles. Ces intervalles sont définis par des rapports de fréquences. Par exemple :

  • L'octave, l'intervalle le plus consonant, correspond à un rapport de 2:1
  • La quinte parfaite correspond à un rapport de 3:2
  • La quarte parfaite correspond à un rapport de 4:3

Ces rapports simples expliquent pourquoi ces intervalles sonnent de manière particulièrement agréable à notre oreille. Ils sont à la base de la plupart des systèmes musicaux à travers le monde et l'histoire.

Le problème de la gamme pythagoricienne

La découverte de ces rapports simples est traditionnellement attribuée à Pythagore, qui aurait observé les relations entre la longueur des cordes et les notes produites. En se basant sur ces rapports, on peut construire une gamme, dite pythagoricienne, en empilant des quintes parfaites.

Cependant, un problème mathématique fondamental apparaît rapidement : si l'on empile 12 quintes parfaites (rapport 3:2), on devrait théoriquement retomber sur la note de départ, mais sept octaves plus haut. Or, le calcul montre que ces deux notes ne coïncident pas exactement :

(3/2)^12 ≠ 2^7

La différence entre ces deux valeurs est appelée le "comma pythagoricien". Elle est minime (environ 23,5 cents, sachant qu'un demi-ton de la gamme tempérée fait 100 cents), mais suffisante pour créer des dissonances perceptibles, surtout lors de modulations vers des tonalités éloignées.

Les tempéraments : une quête d'harmonie

Pour résoudre ce problème, les musiciens et les théoriciens de la musique ont développé différents systèmes de tempérament. Un tempérament est une méthode d'accordage qui vise à répartir le comma pythagoricien de manière à rendre la musique harmonieuse dans toutes les tonalités.

Les tempéraments mésotoniques

Les tempéraments mésotoniques, populaires à la Renaissance et au début de la période baroque, cherchaient à produire des tierces majeures justes (rapport 5:4) en sacrifiant la justesse des quintes. Ces systèmes fonctionnaient bien dans les tonalités proches, mais produisaient des intervalles très dissonants (appelés "loups") dans les tonalités éloignées.

Les tempéraments bien tempérés

Au 17e et 18e siècles, des tempéraments dits "bien tempérés" ont été développés. Contrairement à une idée reçue, le "Clavier bien tempéré" de Bach ne faisait pas référence au tempérament égal, mais probablement à un système de tempérament inégal permettant de jouer dans toutes les tonalités, chacune ayant sa propre "couleur" due aux légères différences d'intervalles.

Le tempérament égal

Le tempérament égal, qui s'est progressivement imposé au 19e siècle et domine aujourd'hui la musique occidentale, propose une solution radicale : diviser l'octave en 12 demi-tons parfaitement égaux. Mathématiquement, cela signifie que le rapport de fréquence entre deux demi-tons consécutifs est toujours de 2^(1/12).

Ce système présente plusieurs avantages :

  • Il permet de jouer dans toutes les tonalités sans rencontrer d'intervalle "loup"
  • Il facilite la modulation entre différentes tonalités
  • Il standardise l'accordage des instruments, facilitant le jeu en ensemble

Cependant, il a aussi des inconvénients :

  • Aucun intervalle, à l'exception de l'octave, n'est parfaitement juste
  • On perd la couleur distinctive de chaque tonalité présente dans les tempéraments inégaux

L'accordage en pratique

La mise en pratique de ces systèmes d'accordage est un art en soi. Pour les instruments à hauteur fixe comme le piano, l'accordage est réalisé par des professionnels utilisant des techniques sophistiquées pour répartir la tension sur l'ensemble de l'instrument.

Pour les instruments à cordes comme le violon, le musicien doit constamment ajuster son intonation en fonction du contexte musical. Les chanteurs et les instruments à vent font de même, utilisant leur oreille pour s'adapter aux subtilités harmoniques de la musique qu'ils interprètent.

Au-delà du tempérament égal

Bien que le tempérament égal domine la musique occidentale moderne, d'autres approches continuent d'être explorées :

  • Certains ensembles de musique ancienne utilisent des tempéraments historiques pour retrouver les couleurs originales des œuvres qu'ils interprètent.
  • Des compositeurs contemporains expérimentent avec des systèmes d'accordage alternatifs, comme la microtonalité qui divise l'octave en plus de 12 parties.
  • Des recherches en psychoacoustique étudient comment notre perception des intervalles peut varier en fonction du contexte musical et culturel.

 

Le tempérament et l'accordage en musique illustrent donc parfaitement la rencontre entre l'art et la science. Ce domaine, où les mathématiques et la physique se mêlent à l'esthétique et à la perception, continue de fasciner musiciens, scientifiques et mélomanes.

 

Alors que nous cherchons toujours l'équilibre parfait entre la pureté mathématique des intervalles et les exigences pratiques de la musique, nous sommes rappelés à l'incroyable complexité et à la beauté de l'expérience musicale. Chaque note que nous entendons est le résultat d'un long voyage historique et scientifique, une quête incessante de l'harmonie parfaite qui continue d'enrichir notre compréhension et notre appréciation de la musique.